Le doux parfum de l’échec | The Sweet Smell of Failure

Julia Child nous a raconté que si le poulet rôti tombe sur le plancher de la cuisine, il suffit de le ramasser, de l’épousseter et de l’apporter à table comme si de rien n’était. Autrement dit, si personne ne voit vos erreurs en cuisine, il n’est pas nécessaire d’en parler. Mais pourquoi ne pas accepter et célébrer nos échecs culinaires, au lieu de les cacher? Et si « se tromper » était un moyen de créer de nouvelles idées, de nouveaux goûts et de nouvelles relations alimentaires?

L’échec est souvent compris comme un chemin vers le succès. Nous trébuchons, nous tombons, puis nous nous relevons et, avec une nouvelle compréhension du terrain, nous repartons avec confiance. Dans la cuisine, l’échec mène souvent à la gourmandise. Un chef fait frire des rondelles de pâte au beurre et à l’œuf, les arrose de jus d’agrumes et de cognac, les enflamme « accidentellement », puis les appelle « Crêpes Suzette ». L’histoire de la cuisine est pleine de soi-disant erreurs, de la tarte Tatin au gâteau au chocolat fondant, du vinaigre de vin au kéfir. Les bulles du champagne, produites spontanément au cours de la vinification, étaient initialement une erreur. Les qualités umami de la sauce Worcestershire sont également le résultat d’un accident : une sauce de poisson fermenté qui a mal tourné.

De manière plus abstraite, l’échec peut être une bonne chose, car le « succès » implique souvent de battre ou de dominer quelqu’un d’autre. Si j’arrive en tête, vous risquez de vous retrouver en queue de peloton. Mais si je ne réussis pas à obtenir la plus belle découpe du rôti ou à cueillir les tomates les plus mûres, un autre mangeur pourrait en profiter. D’un point de vue écologique, perdre est positif, sauf pour le perdant.

L’échec nous aide aussi à voir les choses différemment et à être plus reconnaissants envers ce que nous avons. Une sécheresse en Californie peut dévaster une récolte de choux-fleurs, de laitues ou de fraises, mettant ainsi en péril le gagne-pain des agriculteurs en plus de faire grimper la facture d’épicerie des Montréalais. Mais les revers environnementaux poussent également les chercheurs en agronomie à étudier des espèces plus résistantes au climat et, lorsqu’ils sont expliqués clairement, ils peuvent aussi sensibiliser les consommateurs à leur empreinte carbone et à d’autres impacts sur la consommation.

Depuis l’avènement de l’agriculture industrialisée et des produits de base (qui a débuté vers la fin de la Seconde Guerre mondiale), les Nord-Américains s’attendent à ce que leurs systèmes alimentaires fonctionnent de manière efficace, économique et sans interruption. Autrement dit, nous nous sommes habitués au « succès » de l’agroalimentaire. Pourtant, ce type de succès est maintenu par l’utilisation de nombreux intrants pétrochimiques, notamment des engrais et du carburant diesel, ainsi que par l’exploitation injuste d’une main-d’œuvre bon marché. Alors que les consommateurs bénéficient des effets positifs des réussites du système alimentaire, l’environnement et un très grand nombre de travailleurs migrants sont soumis à de nombreuses épreuves.

Alors, la prochaine fois qu’un plat ne ressemblera pas aux images d’Instagram, réjouissez-vous de votre capacité à innover. Lorsque vous ne parvenez pas à localiser cette coupe raffinée de bœuf âgé, passez à une recette végétarienne. Le soufflé au fromage s’effondre? Faites griller la croûte pour en faire des croustilles avant le repas. Vous échappez le poulet rôti? Dites-le à tout le monde et retrouvez l’humour dans tout ça. Échouer pour réussir peut être transgressif, expérimental et libérateur, en plus de créer toutes sortes de nouvelles possibilités. Et n’est-ce pas là une belle façon d’aborder la nourriture, que vous soyez un jardinier enjoué, un chasseur d’aubaines ou un créateur culinaire?  

Julia Child famously told us that if you drop the roast chicken on the kitchen floor, just pick it up, dust it off, and bring it to the table as if nothing happened. In other words, if no one sees your culinary mistakes, they never need to be talked about. But what about embracing and celebrating our food-related failures, instead of hiding them? What if “getting it wrong” were a way of creating new ideas, tastes, and eating relationships?

Failure is often understood as a pathway toward success. We trip and fall, get up, and with renewed understanding of the terrain, set off again with confidence. In the kitchen, failure frequently leads to deliciousness. A chef fries up rounds of buttery, eggy batter, douses them with citrus juice and cognac, ‘accidentally’ sets them on fire, and then calls it Crêpes Suzette. Cooking history is full of so-called mistakes, from tarte Tatin to molten chocolate cakes, wine vinegar to kefir. Champagne’s bubbles were initially a turnoff, produced spontaneously during vinification. The umami goodness of Worcestershire sauce was also an accident — a fermented fish sauce gone horribly right.

More abstractly, failure can be good because ‘success’ often means beating or dominating someone else. If I come out on top, you might end up on the bottom. But if I fail to get the nicest cut of the roast, or to pick the ripest tomatoes, another eater might benefit. Ecologically speaking, loss is positive — just not for the loser.

Failure also helps us see things differently and be more grateful for what we have. A drought in California can devastate a cauliflower or lettuce or strawberry crop, endangering farmer livelihoods and pushing up Montrealers’ grocery bills. But environmental setbacks also push agronomy researchers to study more climate-resilient species, and when explained clearly, they can also make eaters more aware of their carbon footprints and other consumer impacts. 

Since the dawn of industrialized and commodity agriculture (starting roughly at the end of World War II), we North Americans have come to expect our food systems to function efficiently, cheaply, and without interruption. In other words, we have gotten used to agrifood ‘success.’ Yet that kind of success is maintained by using a lot of petrochemical inputs, including fertilizers and diesel fuel, as well as the unjust exploitation of cheap labour. While consumers receive the positive effects of food-system successes, the environment and an awful lot of migrant workers are subject to loads of hardship. 

So the next time a dish doesn’t turn out like the images on Instagram, rejoice in your ability to innovate. When you can’t locate that fancy cut of aged beef, switch to a vegetarian recipe. The cheese soufflé collapses? Toast the crust into pre-dinner crisps. You drop the roast chicken? Tell everyone and find the humor in it. Failing to succeed can be transgressive, experimental, and liberating, which opens up all sorts of new possibilities. And isn’t that a nice way to approach food, whether you’re a guerilla gardener, a dumpster diver, or a culinary creator?  

David Szanto, PhD

David Szanto est un chercheur alimentaire montréalais, auteur et collaborateur de longue date de ce magazine. En 2015, il a obtenu un doctorat en gastronomie à l’Université de Concordia, le tout premier en son genre. 

David Szanto is a Montreal-based food researcher, consultant and long-time contributor to this magazine. In 2015, he earned a PhD in gastronomy from Concordia University, the first of its kind. 

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