Réapprendre à goûter | Re-Learning to Taste

À quel moment développons-nous le goût pour certains aliments et les habitudes qui nous permettent d’élargir nos horizons alimentaires? Certaines recherches sur le développement in utero et du nourrisson suggèrent que l’appréciation des goûts de base (et de certaines saveurs précises) s’acquiert très tôt. Le dégoût et le déplaisir tendent à se développer plus tard, en lien avec nos contextes socioculturels et l’évolution de nos sensibilités. Globalement, les préférences gustatives sont toujours liées aux environnements dans lesquels nous vivons, aux pratiques que nous apprenons et aux choix que nous faisons (ou non) d’intégrer de nouveaux aliments et de nouvelles boissons.

Alors que les problèmes de santé liés à l’alimentation suscitent de plus en plus d’inquiétudes, les spécialistes de la nutrition étudient les moyens d’influencer les habitudes de consommation des jeunes. L’industrie a également beaucoup d’argent à gagner en créant des produits alimentaires qui répondent soi-disant à ces problèmes de santé. Et, bien sûr, le monde de la technologie a sa part du gâteau « alimentation, goût, santé », car lorsqu’il s’agit de mesurer, de surveiller et de modifier nos comportements individuels, il existe une application pour le faire (ou une application en cours de développement).

Il est généralement reconnu que les enfants ont un dégoût inné pour les aliments piquants et amers, ainsi que pour les saveurs que certains qualifient de « fortes », comme l’ail et les fromages affinés. Nous parlons souvent de ces aliments comme étant des « goûts acquis ». Toutefois, il est prouvé que ce qui est considéré comme « inné » peut être biaisé par les présomptions inhérentes à la culture alimentaire européenne et nord-américaine, dans laquelle l’acidité, le piquant et l’amertume sont moins appréciés. La question demeure : comment et à quel moment les transitions gustatives se produisent-elles?

Lorsque je donne mes cours d’études alimentaires de premier cycle, je demande à mes étudiants de me faire part de leurs habitudes alimentaires personnelles. Nombre d’entre eux en sont à leur première ou deuxième année d’université, et ceux qui vivent loin de chez eux disent qu’il est difficile d’apprendre à se nourrir. Les fêtes leur permettent de renouer avec les habitudes alimentaires de leur famille, mais l’année scolaire est souvent marquée par des plats à emporter, des aliments transformés et des préparations très basiques. La dépendance excessive à l’égard des sources d’information numérisées — et la « gamification » de tout, de l’exercice aux achats en passant par les relations sociales — signifie également que les algorithmes déterminent les nouvelles habitudes alimentaires plus souvent que la culture alimentaire familiale.

Si la transition vers la vie post-études (déménagement, entrée dans le monde du travail et nouvelles relations) est également considérée comme une période de changement gustatif, il n’est pas clair si ces moments sont en fait des déclencheurs ou simplement des points d’inflexion. Faire « table rase » peut être une nouvelle opportunité, mais aussi un défi de taille pour les mangeurs. Certaines recherches montrent que des repas familiaux réguliers, riches en interactions sociales et en renforcement des habitudes alimentaires, conduisent à une alimentation plus réfléchie et plus ouverte à l’âge adulte. Les enfants qui mangent en bonne compagnie deviennent des adultes plus attentifs à leur nourriture. De plus, ils sont plus ouverts à l’expérimentation et à la découverte.

Que faire alors si vous (ou votre colocataire ou partenaire) êtes un mangeur « difficile »? Revenir en arrière, à l’époque de votre enfance, et partager des repas plus collectifs? Hum. Télécharger un logiciel de suivi des repas qui vous encourage à essayer de nouveaux plats? Peut-être. Apprendre l’histoire culinaire et l’histoire des recettes de nos proches? Bien sûr! Nous ne sommes pas aussi difficiles que nous le pensons.

When do we develop our taste for certain foods and the habits that enable us to expand our eating horizons? Some research on in utero and infant development suggests that appreciation for basic tastes (and some specific flavours) is acquired early on. Disgust and displeasure tend to develop later, connected to our socio-cultural contexts and evolving sensibilities. Overall, gustatory preferences are always linked to the environments we inhabit, the practices we learn, and the choices we make (or not) to incorporate new foods and drinks.

Increasingly, as concerns rise about food-related health conditions, nutritional scholars are examining ways to influence young people’s consumption habits. There is also a great deal of industry money to be made by creating food products that supposedly respond to such health conditions. And, of course, the tech world has its own digits in the food/taste/health pie, because when it comes to measuring, monitoring, and modifying our individual behaviours, there’s an app for that (or there’s one in development).

One common understanding is that children have an innate distaste for piquant and bitter foods, as well as what some people call “strong” flavours, like garlic and ripe cheese. We often talk about such foods as “acquired tastes.” However, evidence indicates that what is considered “innate” can be biased by the assumptions baked in to European-North American food culture, in which acridity, pungency, and bitterness are less appreciated. The question remains: how and when do taste transitions occur?

In the undergraduate food studies courses that I teach, I ask my students to share their personal food habits. Many are in their first or second year of university, and those who live away from home express that it’s hard to learn to feed themselves. Holidays reconnect them with their familial foodways, but the school year tends to be filled with takeout, processed foods, and very basic preparations. The overreliance on digitized sources of information — and the “gamification” of everything from exercise to shopping to social relations — also means that algorithms drive new food habits more often than family food culture. 

While the transition into post-education life — including moving, starting jobs, and entering new relationships — is also thought to a period of taste change, it is unclear whether such moments are in fact triggers or merely inflection points. A “clean slate” can be a fresh opportunity for eaters, but it can also be a daunting challenge. Some research shows that regularly scheduled, familial dinners, rich in social interaction and the reinforcement of food habits, lead to more mindful and open-minded eating in young adulthood. Kids who dine in good company become grownups who pay more attention to their food. Moreover, they are more open to experimentation and discovery.

So what do you do if you (or your roommate or partner) are a “picky” eater? Go back in time to your childhood and share in more collective suppers? Hmm. Download a meal-tracker that reinforces trying new dishes? Maybe. Learn about culinary history and the stories of our loved ones’ recipes? Sure! We’re not really as finicky as we might think. 

David Szanto, PhD

David Szanto est un chercheur alimentaire montréalais, auteur et collaborateur de longue date de ce magazine. En 2015, il a obtenu un doctorat en gastronomie à l’Université de Concordia, le tout premier en son genre. 

David Szanto is a Montreal-based food researcher, consultant and long-time contributor to this magazine. In 2015, he earned a PhD in gastronomy from Concordia University, the first of its kind. 

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